lundi 27 décembre 2010

Six mois, six jours - Karine Tuil

Riche héritière d'une famille d'industriels allemands, Juliana Kant tombe amoureuse d'un homme qu'elle ne connait pas et qu'elle a croisé par hasard dans une station balnéaire suisse. Leur liaison durera six mois et six jours, au bout desquels Juliana comprendra avec stupeur que son amant a filmé leurs ébats et qu'il menace de la faire chanter si elle ne paye pas une somme extraordinaire. Mais le gigolo est dénoncé par Juliana à la police qui l'appréhende, est trainé en justice sous des médias déchainés et écope d'une peine de prison. La morale est sauve et les Kant respire. Mais pas pour longtemps car des révélations sur les agissements des Kant durant la seconde guerre mondiale refont surface. Mais tout a t-il été dit pour autant?

Suis-je aimé pour la valeur sociale que je représente ou pour moi-même? Cette question taraude l'essentiel du roman, à l'instar des questionnements de Juliana envers son amant. C'est que pour la première fois, Juliana n'est plus obligée de respecter l'image qu'elle se doit de donner d'elle, des Kant tout entiers. Pour la première fois, Juliana Kant découvre l'amour, le désir, la passion dans les bras d'un homme qu'elle ne connait pas et dont elle ne sait rien. Oubliant toute prudence, c'est avec délectation qu'elle rejoint son amant dans une chambre d'hôtel, qu'elle délaisse son mari et refuse d'écouter les mises en garde de l'homme de main de la famille qui relate ici cette histoire. Le choc est alors d'autant plus grand lorsqu'elle comprend que cet homme n'est qu'un gigolo comme on dit, qui l'a extorquée du début à la fin et pire que tout, qui ne l'a jamais aimé. Alors qu'elle, si.

Avec ce fait divers torride, le passé des Kant, guère glorieux, refait surface. Et c'est notamment l'image d'une femme, une autre, qui hante le roman comme un spectre menaçant et trouble. Magda Goebbels, femme belle et redoutable, seconde épouse de Gunther Kant, qui n'hésite pas à renier son père adoptif qui a pour seul tort d'être juif. Ce qui pourrait faire "tache" dans la vie luxueuse quelle mènera auprès d'un époux obsédé par l'argent et qui la délaisse. Alors Magda le quitte, pour aller dans les bras d'un autre homme aux agissements encore plus troubles, un certain Goebbels, alors en pleine montée nazie. Le dénouement, on le connait, avec leur suicide collectif à la fin de la guerre.

Le plus étonnant dans cette histoire c'est qu'elle est vraie. En effet, Karine Tuil s'inspire fortement du fait divers qui avait défrayé la chronique en 2009 lorsqu'il s'était avéré que Suzanne Klatten, la femme la plus riche d'Allemagne et héritière notamment de BMW, avait été trompée par un gigolo qui avait tenté de lui extorquer sept millions d'euros. Karine Tuil reprend alors l'histoire à son compte et ne change en bref que les noms, les lieux et quelques détails sans importance. La famille Kant est devenue riche pendant la guerre grâce à ses relations avec le régime nazie? Les Klatten aussi. Juliana Kant, jeune fille de bonne famille, a été élevée selon des principes strictes, tout en étant préparée très jeune à succéder à son père? Suzanne Klatten aussi. Juliana Kant dépanne son amant de quelques millions d'euros lorsque celui-ci prétend être en proie à un maître chanteur albanais? Suzanne Klatten aussi. Juliana Kant préfère prévenir la police et avoir son nom dans les journaux plutôt de céder? Suzanne Klatten également.

Un récit captivant où le thème principal est l'amour, l'amour malgré tout et envers tout. L'amour d'un homme envers une femme qui le conduira dans les voies du nazisme. L'amour d'une femme qui a tout (argent, pouvoir, mari, enfants) et qui va tout mettre en jeu et perdre pour le désir d'un seul homme. Dans l'espoir inconscient et enfui d'être aimé pour ce qu'elle est et non ce qu'elle représente. La désillusion finale n'en est que plus dure.

Ma note : 4/5
(Grasset, 253 pages)

Sélection de janvier 2011

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