mercredi 28 juillet 2010

Sandor Marai

Sandor Marai (1900-1989) peut être considéré comme un des plus grands écrivains hongrois du XXème siècle. Ayant connu un grand succès dans la période de l'entre deux guerres, Marai est cependant obligé à l'exil lors de l'avènement du régime soviétique en Hongrie où ses romans seront interdits. Il se donnera la mort en 1989 aux Etats-Unis, huit mois seulement avant la fin de la République Populaire de Hongrie.

Parmi ses œuvres, on peut compter les suivantes :
  • Les Révoltés (Zendülők,1930) Albin Michel, 1992
  • La Conversation de Bolzano (Vendégjáték Bolzanóban, 1940) Albin Michel, 1992
  • Les Confessions d'un Bourgeois (Egy polgár vallomásai, 1934) Albin Michel, 1993
  • Les Braises (A gyertyák csonkig égnek, 1942) Albin Michel, 1995
  • L'Héritage d'Esther (Eszter hagyatéka, 1939) Albin Michel, 2001
  • Divorce à Buda (Válás Budán, 1935) Albin Michel, 2002
  • Un chien de caractère (Csutora, 1932) Albin Michel, 2003
  • Mémoires de Hongrie (Föld, föld!..., 1972) Albin Michel, 2004
  • Paix à Ithaque! (Béke Ithakában, 1952) Livre de Poche 2005
  • Métamorphoses d'un mariage (Az igazi, Judit... és az utóhang, 1980) Albin Michel, 2006
  • Libération (Szabadulás, 2000) Albin Michel, 2007
  • Le premier amour, Albin Michel, 2008
  • Le Miracle de San Gennaro, Albin Michel, 2009

Divorce à Buda
Juge à Budapest, Kristof Kömives s'apprête à prononcer le divorce de Imre Greiner, médecin de son état et ancien camarade de classe, et de Anna Fazekas, jeune fille de bonne famille qu'il avait déjà rencontrée bien des années auparavant. Bien que "sa tâche se limitait à enregistrer le simple fait que deux êtres ne se supportaient plus", Kristof se sent troublé par avance à l'annonce de ce prochain divorce. Trouble qui s'exaspère lorsque Kömives et Greiner se rencontrent et que ce dernier lui annonce que ...

Un récit subtil où le grand écrivain hongrois Sandor Marai en profite pour dresser un portrait complet et sans concession de la société bourgeoise d'après-guerre de Budapest. C'est vif, c'est mordant de précision et de vérité; mine de rien, cette société que l'auteur retranscrit, et bien, elle ressemble à bien des égards à la nôtre... La société hongroise des années 30 est en effet en plein désarroi, dans une nation neuve - la Hongrie n'est devenue indépendante qu'après la Première guerre mondiale et la chute des Habsburg - où la quête effrénée de l'argent n'est plus que la seule fin en soi alors que tous sentent la prochaine guerre mondiale qui s'approche...

"Les hommes affranchis de l'angoisse de la mort, se jetaient sur l'argent avec une avidité folle; au lendemain du cataclysme, l'argent - ces petits billets fripés et écornés - régnait en maître absolu sur la vie publique et privée, sur les sentiments et les pensées. Et pourtant, cet argent n'était plus, comme autrefois, un objectif à atteindre, ni même un étalon, mesure de toutes choses mais une drogue; c'était la course effrénée aux stupéfiants."

Personnage d'un autre temps, Kömives ne peut que réprouver le monde qui l'entoure tout en ayant une grande nostalgie du passé même si le sien n'a pas toujours été tout rose. Marai fait alors, dans un bon tiers du roman, une description bien longue de l'enfance puis de l'adolescence de Kömives, enfant abandonné par sa mère qui s'enfuira avec un autre homme, laissant son père en proie à un profond désespoir. Ce n'est que dans la dernière partie du récit que Greiner apparait enfin en chair et en os et que le lecteur apprend enfin le lien ténu qui relie ces deux personnages...

Récit d'une grande subtilité, Divorce à Buda est une peinture d'une société en profonde dérive morale. Mais c'est également la retranscription de ce que peut être l'Amour avec un grand A, oui, cet Amour total, entier, terrible en fait et qui conduit toujours irrémédiablement à la mort...

Ma note : 3,5/5
(Éditions Albin Michel, 247 pages)


L'héritage d'Esther
(Lu en Avril 2009)
Un court roman - à peine 200 pages - et pourtant d'une incroyable finesse et d'une acuité sans égal. Sandor Marai, un des plus célèbres écrivains hongrois du XXème siècle, a écrit ce roman en 1948, peu de temps avant son exil forcé du fait du régime communiste hostile à ses écrits et romans.

Esther, femme d'une quarantaine d'années, vit seule et recluse dans la demeure familiale au fin fond de la Hongrie, ruinée, avec la vieille Nounou. Mais lorsqu'elle apprend que Lajos, son amour de jeunesse qu'elle n'a pas vu depuis vingt ans et qui l'a entièrement dépouillée de ses biens s'apprête à revenir, Esther se trouble et se reprend même à espérer. Pourquoi Lajos refait-il apparition? Vient-il régler enfin ses dettes? Se faire pardonner? S'expliquer? Mais très vite, les retrouvailles ne se passent pas comme prévu ...

Un des romans les plus étranges qu'il m'a été donné de lire. Sandor Marai fait preuve d'une grande délicatesse dans la description aussi bien des personnages que des différents états d'esprit d'Esther. Le style a d'ailleurs énormément de similitudes avec ceux de Stefan Zweig ou d'Arthuer Schnitzler, auteurs contemporains de Sandor Marai. Le personnage d'Esther est ainsi troublant et complexe à souhait; certes difficile à cerner, ses motivations et décisions n'en demeurent cependant pas louables car "ce qui a été commencé doit être achevé".

Un très beau roman qui ne peut que ravir le lecteur, ébloui par le génie de Sandor Marai.

Ma note : 4/5
(Éditions Albin Michel, 162 pages)

dimanche 25 juillet 2010

Cher Boro - Franck et Vautrin

Sixième opus des aventures du plus célèbre reporter photographe de la littérature contemporaine, Cher Boro nous entraîne en 1942, dans le monde sombre et mystérieux de la Résistance. On ne peut que saluer le travail précis et exhaustif des auteurs qui recréent avec une véracité rare ce que furent les réseaux de la Résistance civile à cette époque aussi bien en France libre qu'occupée qu'au sein de l'Allemagne nazie même où Boro côtoie un instant les membres de l'organisation secrète de L'Orchestre rouge ou Société des amis, société qui fut démantelée et ses membre tous exécutés cette même année.

Mais n'allons pas trop vite et revenons à l'intrigue même : parachuté en France libre, Boro fait la connaissance de la jeune et jolie Bleu Marine, opératrice radio envoyée comme lui clandestinement en France sur les ordres de Londres. De Paris à Lyon, en passant par Berlin ou Caluire, nous suivons donc notre héros qui, avec ses acolytes hongrois ex-membres comme lui de la défunte agence Alpha Press, luttent coûte que coûte avec les moyens du bord contre l'occupant nazi. Car c'est bien de cela dont veulent parler en particulier les auteurs Franck et Vautrin : les premiers réseaux de la Résistance ont été artisanaux voire plus que restreints dans cette France où le Maréchal Pétain pactise avec l'ennemi. Et même si nombreux sont ceux qui haïssent les Nazis, rares sont ceux qui osent se dresser face à leurs multiples exactions. Priorité à la survie individuelle avant tout.

C'est un récit beaucoup plus sombre que les précédents et où le lecteur, à la suite de notre intrépide héros, se sentira le plus souvent tendu et sur ses gardes. C'est que même au sein de la Résistance, les traitres et les délations ne manquent pas, à l'instar de la réunion de Caluire où un certain Jean Moulin fut arrêté après la trahison de René Hardy, épisode que les auteurs décrivent et romancent.

Récit où les larmes, les peurs et les morts bousculent et atteignent notre héros et le lecteur avec, Cher Boro nous chamboule et nous atteint au plus profond de nous mêmes. Il est bien dommage que le récit souffre de longueur au début car Cher Boro reste un témoignage troublant d'une époque sombre et impitoyable. Époque que nous retrouverons dans l'épisode suivant : La fête à Boro.

Ma note : 3,5/5
(Éditions Fayard, 460 pages)

mercredi 14 juillet 2010

Les Hauts de Hurlevent - Emily Brontë

Difficile de résumer un tel roman, surement l'un des plus connus de la littérature anglaise du XIXème siècle. Combien de dérivés de livres ou adaptation cinématographiques ont permis au grand public, même s'il n'a pas lu ce chef d'œuvre de la littérature, de connaître Heathcliff et sa bien-aimée Catherine!

Ce récit, j'ai du le lire à 13 ans et je me souviens encore du ravissement dans lequel il m'avait plongé lors de ma première lecture. Évidemment, l'histoire pour la jeune adolescente que j'étais alors ne pouvait que me plaire et me transporter dans des tourbillons de rêveries romantiques et exaltées (un peu comme Autant en emporte le vent que j'ai du lire à peu près au même âge).

Oui, mais alors, près de quatorze ans plus tard, quelle allait être mon impression avec cette relecture?

Bien sûr, il y a eu l'effet de surprise en moins, puisque je me souvenais des principales péripéties de l'histoire. Mais ceci a également eu le mérite que j'ai pu ainsi plus me concentrer sur l'ambiance et les personnages décrits par l'auteur. L'ambiance tout d'abord : c'est sombre, très sombre même à l'instar de cette Lande lugubre en hiver et qui s'étire à perte de vue dans notre imaginaire. Toute l'histoire ainsi ne se passe qu'entre deux demeures, Wuthering Heigths et La Grange. Tout au plus, Charlotte Brontë nous explique telle que ces deux fermes sont situées non loin de la ville de Gimmerton. Quant à Londres, la capitale semble bien loin et comme une chimère comme pour y justifier qu'Isabella ait pu y trouver refuge.

Le climat est d'un noir profond, à la limite du gothique et du fantastique. Le narrateur au début du récit est ainsi confronté à un cauchemar affreux et terrifiant; des fantômes et revenants sont aperçus par certains (dont Heathcliff qui perçoit et ressent sa bien-aimée Catherine près de lui bien après sa disparition), la folie rôde. Les lieux en eux-même sont assez lugubres; quel contraste en effet entre La Grange, endroit illuminé et chaleureux et Wuthering Heights, endroit des tous les maux! Quant au climat du roman, la passion, la vengeance, la peur se mélangent pour former un ensemble surprenant.

Les personnages maintenant : et bien moi, je vous le dis, Catherine 1 est absolument détestable! Comment Heathcliff a bien pu tomber amoureux d'une femme pareille avec tous ses caprices! Je l'avoue, le personnage d'Heathcliff est tout aussi affreux, et d'ailleurs je me souvenais plus des personnages de la seconde génération - Catherine 2 et Hareton - dans mon esprit. Ah Hareton! Je crois bien que pour moi, il était l'archétype du romantique! Et il l'est toujours!

Qu'ai je retenu avec cette relecture? Que Les Hauts de Hurlevent est sans conteste un chef d'œuvre que je recommanderais à tous. Peut-être faut-il plus le lire adolescent car faisant plus d'effet. J'avais également relu il y a de cela quelques temps Jane Eyre et j'avoue que ce dernier récit m'avait presque plus plu. Mais qu'importe: dans la vie de n'importe quel lecteur qui se respecte, Les Hauts de Hurlevent fait parti de ces récits qu'il faut avoir lu au moins une fois dans sa vie.

Ma note : 5/5
(Le livre de poche, 413 pages)

2/2

et

samedi 10 juillet 2010

L'histoire de Chicago May - Nuala O'Faolain

Chicago May, alias May Duigan, jeune femme irlandaise qui immigra aux États-Unis en 1890 après avoir volé les économies de ses parents et qui sera tour à tour prostituée dans les bas fonds de Chicago et de New York, arnaqueuse à Paris et Londres, arrêtée et emprisonnée des dizaines de fois et envoyée dans des prisons horribles et insalubres pour enfin finir d'écrire ses mémoires avant sa mort seule et abandonnée. Sa quête l'enverra partout en Amérique, mais aussi en Europe, au Caire ou à Rio. Portrait d'une femme au destin hors du commun au tournant d'un monde qui s'achève (l'Amérique des pionniers et du Far West) et de celui qui commence (celui des grandes villes et de la modernité).

L'histoire de Chicago May c'est aussi et surtout celui de tous ces hommes et femmes qui quittèrent tout pour tenter leur chance dans un nouveau pays qu'ils ne connaissent pas et où souvent, personne ne les attend. C'est le cas de May, qui, débarquée à New York, pour survivre, doit se résoudre à vendre son corps et voler les clients. Quoique le terme de "se résoudre" ne pourrait guère s'appliquer dans son cas car la jeune femme d'alors affirme choisir de son plein gré ce métier plutôt que de de devenir femme de chambre ou vendeuse. Au fil des ans, May deviendra la célèbre Chicago May, figure notoire du nouveau monde, et sa vie sera faite de scandales et de crimes, sans que notre héroïne n'en ait le moindre remord.

C'est en se basant sur cette histoire vraie (car oui, Chicago May a bien existé!) que Nuala O'Faolain a écrit ce récit où elle enrichit les mémoires de May de d'autres documents historiques datant de la même époque et relatant les faits décrits par May de manière parfois totalement différente... Il est étonnant de lire les descriptions de Chicago ou de New York à la fin du XIXème siècle; autant dire que nous sommes bien loin de l'image glamour ou chic que l'on pourrait avoir de ses villes. Nuala O'Faolain n'hésite pas à en effet à nous peindre un univers violent, rude et dangereux, à l'instar également des terribles conditions de détention de May en Angleterre ou pire encore, d'un de ses amants sur l'île du Diable en Guyane.

Femme exilée, loin des siens et de sa patrie, Chicago May a produit une forte impression sur Nuala O'Faolain, qui, de par son histoire et son vécu personnel, se sentit extrêmement proche de cette femme singulière. Évidemment, en tant que femme et Irlandaise, Nuala O'Faolain ne pouvait que se sentir concernée par ce destin exceptionnel; mais au delà de cela, c'est aussi et surtout à un véritable travail d'introspection et de mémoire exceptionnel que se livre l'auteur.

Document rigoureux et précis, L'histoire de Chicago May est un récit où on apprend beaucoup sur la vie de la pègre dans l'Amérique de la fin du XIXème siècle. C'est aussi et surtout un beau portrait de femme forte et déterminée à garder la main sur son destin jusqu'au bout.

Ma note : 4/5
(Éditions 10/18, 392 pages)


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(13/26)