lundi 28 juin 2010

L'arrangement - Elia Kazan

"Et puis un matin, alors que j'allais au bureau au volant de ma Triumph TR 4 et que je me sentais, autant que je me souvienne parfaitement calme et en paix avec moi-même, brusquement, obéissant à Dieu sait quelle impulsion, je ... ou bien fut-ce une main invisible qui s'empara du volant de ma petite voiture et la jeta contre l'énorme camion-remorque qui fonçait dans la direction opposée? Ce fut la collision. Et l'accident qui transforma mon existence."

Il s'appelle Eddy Anderson, la quarantaine, et dans les quartiers huppés de Los Angeles, il est montré comme étant le parfait modèle de la réussite. Alors pourquoi, brusquement, laisse t-il tout tomber - travail, famille, maison chic, femme aimante et parfaite, relations - pour partir à New York? Là où son père, ce père qu'il a tant haï, se meurt mais réclame à corps et à cri son fils ainé? Ou alors, serait-ce pour cette Gwen, son ancienne maitresse, qu'il n'arrive pas à oublier?

Impossible de résumer un roman pareil en quelques lignes, aussi faudra t-il vous contenter des trois lignes ci-dessus! C'est que L'arrangement n'est pas un récit comme les autres du fait de sa profondeur, de sa complexité, de la réflexion qu'il engage auprès de ses lecteurs. Dès les premières pages, le personnage d'Eddy m'a paru un des héros de roman les plus profonds qu'il m'a été donnée de lire. Là encore, je serais particulièrement incapable d'arriver à vous décrire l'exhaustivité des sentiments et des comportements de cet homme, qui brusquement, refuse et rejette l'existence qu'il a toujours menée.

Évidemment tout quitter du jour au lendemain ne se fait pas ainsi. Surtout vis à vis de ceux qui ont toujours vécu avec vous et vous ont côtoyé. C'est à partir de l'instant où Eddy décide de mener sa vie et non plus celle que la société lui a imposée que les autres autour de lui s'intéressent à lui, lui parlent, se préoccupent de son sort. Par peur bien sûr, des conséquences que cela pourrait avoir sur leurs petites existences à eux. Et puis, change t-on réellement ainsi, du jour au lendemain? Ne restons nous pas toujours le même? Eddy lui même en fait l'amère expérience quand il revoit son père et que celui-ci recommence à le tétaniser de peur, comme dans son enfance.

Il y a beaucoup d'Elia Kazan dans le personnage d'Eddy. Comme lui, Kazan était le fils d'immigrants turcs d'origine grec. Comme Eddy, Kazan cherchera la rédemption à la fin des années 60, notamment pour faire oublier et se faire pardonner sa délation envers certains de ses confrères à la grande époque du Maccarthysme... Il est facile de détester un personnage comme Eddy Anderson, et pourtant, moi je l'ai aimé. Pire, je l'ai admiré. Qui, de nos jours, pourrait en effet se vanter de tout vouloir et de tout pouvoir quitter? Quel courage à mon sens! Certes, Eddy, si on s'arrête à certains de ses actes ou de ses pensées, peut se révéler comme un personnage abject. Et pourtant, j'ai ressenti une grande empathie envers cet homme bien que tout m'oppose à lui; alors qu'à l'inverse, sa femme Florence m'a littéralement tapée sur les nerfs.

"Florence, Florence, je sais que j'ai mal agi envers toi et envers d'autres. Mais ce n'est rien à coté de ce que je me suis fait. J'ai péché contre moi-même. Je me suis trahi. Je suis devenu tout ce que je ne voulais pas être. Je me méprisais, Florence, comme j'étais."

Certains passages m'ont particulièrement beaucoup plus : la fête de mariage chez les Rojas qui se termine en bagarre généralisée, la longue errance en pleine nuit d'Eddy complètement saoul et pourtant terriblement lucide sur lui même, les rencontres entre Eddy et son père à l'hôpital ou encore la nuit d'Eddy dans sa maison d'enfance qui finira en flammes... Quant aux personnages, Gwen m'est apparue comme une femme moderne, forte et déterminée, à coté d'un Eddy encore perdu dans ses actes et dans ses pensées. Étrangement, le personnage de M Flannigan, le patron d'Eddy m'a aussi paru bien intéressant alors qu'encore une fois, celui de Florence, la femme trompée, m'a paru bien morne.

« Laissez-moi vous présenter les choses une dernière fois, dans les termes les plus simples. Personne ne peut vivre absolument comme il le désire. Nous payons tous quelque chose, en temps perdu et en dégout de soi-même, pour payer le loyer et l’épicerie. C’est un compromis que nous faisons avec la société, qui en elle-même n’est qu’un compromis, vous comprenez ? en somme, voilà ce qui se passe : je renonce à une portion de mon âme, vous me donnez du pain. Nous tous, à un degré ou à un autre, feignons d’aimer ce que nous détestons. En général, nous le faisons pendant si longtemps que nous oublions que nous le détestons. Mais en dépit de tout, c’est une civilisation comme les autres . Non ? Dites-moi. »

Peut on changer, refuser cet arrangement tacite que nous tous, en réalité, avons fait entre nous même et la société afin d'être intégré dans celle-ci? Eddy, dans sa "folie" n'est il pas le plus sensé en réalité? N'est ce pas nous qui sommes fous ou illogiques de vivre ainsi? Écrit il y a presque quarante ans, L'arrangement garde aujourd'hui encore une modernité incroyable. Autant le dire : de tels romans ne seraient plus écrits ainsi.

Pour finir, je ne pouvais passer sous silence cette terrible et complexe histoire d'amour que contient L'arrangement. Car à vrai dire, sans Gwen, Eddy serait encore et toujours le grand publicitaire Eddy Andersen. Quelle femme que cette Gwen! Je l'avoue, j'ai presque été jalouse d'elle de par son assurance et sa rage de vivre. Ah si seulement j'avais un tant soit peu du culot de cette Gwen!

Ce récit, je l'ai fini il y a près de deux semaines et pourtant, aujourd'hui, je me surprends à me souvenir de certains passages, d'analyser certains faits et gestes, de me remémorer des instants clés du roman. Un récit qui n'a pas fini de me faire réfléchir...

Ma note : 5/5


11/26!

et


2 commentaires:

  1. Bonjour Liza Lou!
    Je suis au milieu de cette lecture, et j'endosse ton commentaire à 100%!!! J'ai le sentiment de lire une oeuvre majeure de la littérature américaine.
    Groucho

    RépondreSupprimer
  2. Bonne lecture alors Groucho! Et je suis ravie de voir que tu apprécies ce roman.

    RépondreSupprimer