mercredi 29 juin 2011

J'ai épousé une ombre

A dix-sept ans, Helen est abandonnée par l'homme qui l'a faite enceinte. Fuyant alors New York en train, elle fait la connaissance d'un jeune couple, les Hazzard, dont la femme Patricia attend elle aussi un enfant. Les deux jeunes femmes sympathisent rapidement et, lors d'une discussion entre elles, Patricia confie à Helen son alliance. Brusquement, le train déraille et lorsqu'Helen se réveille à l'hopital, elle comprend rapidement qu'on la prend, du fait de l'alliance qu'elle porte, pour Patricia Hazzard, morte avec son époux dans l'accident...

Un grand roman noir par l'un des plus grands maîtres du genre : J'ai épousé une ombre est un récit au suspense haletant, avec une héroïne attachante et d'une vulnérabilité extrême. Seule au monde, abandonnée de tous, Helen, par le biais d'une méprise, se retrouve propulsée au sein de la famille Hazzard, une des plus riches de Caulfield. Mais plus que la fortune, c'est l'amour d'un foyer et d'une famille, choses qu'elle n'a jamais connus, qui émerveillent Helen devenue alors Patricia. Le bonheur s'avère à portée de main pour la jeune femme qui oublie peu à peu son passé. Mais peut-on réellement échapper à celui-ci? Prendre la place d'une autre n'est-il pas synonyme de risque? Et lorsqu'Helen tombe amoureuse, l'équilibre précaire qu'elle a réussi à construire ne menace t'il pas de s'écrouler?

Un excellent roman policier avec une seconde partie absolument haletante. Willima Irish arrive à faire grimper lentement la tension entre les différents personnages. Car malgré sa prudence, Helen, ou plutôt Patricia, fait quelques erreurs au sein de sa nouvelle famille et prend peur de leur révéler son imposture. Mais l'horreur arrive réellement lorsque les premières lettres anonymes arrivent, menaçant la jeune femme et son bonheur fragile. Qui et pourquoi?

Publié en 1948, J'ai épousé une ombre fait parti de ces romans intemporelles dans son intrigue et sa construction. L'originalité du récit réside dans le fait qu'Irish se place au niveau de Patricia, qui raconte elle-même la lente progression de sa peur et de ses tourments. Le lecteur se retrouve ainsi propulsé dans les pensées oppressées de Patricia, jeune femme abusée très jeune par l'existence et c'est avec une grande empathie que l'on suit son histoire jusqu'au dénouement, qui faisant écho à l'introduction, met en lumière ce dernier.

Un pur roman noir et pourtant, bien différent des autres dans l'angoisse et le suspense qu'il propage. Une réussite complète, autant dire qu'on n'est jamais déçu en lisant un roman de William Irish!

Ma note : 4/5
(Folio Policier, 256 pages)

Livre du mois de juin

lundi 27 juin 2011

Prairie

C'est une prairie perdue entre ciel et terre, dans les Rocheuses du Colorado. Rythmée par le cycle sans fin et immuable des saisons, l'existence de ceux et celles qui y ont résidé a été façonnée à jamais par ce territoire où la vie est rude et intense. Avec ce récit, le poète James Galvin cherche à rendre hommage à ces hommes et ces femmes qui, sur un siècle, se sont accrochés corps et âme à ce morceau de terre qu'ils aiment plus que tout. Prairie n'est pas un roman, non, c'est plutôt une longue description des jours et des semaines qui passent aussi bien en été qu'en hiver par les habitants successifs de cet endroit au milieu de nulle part. La neige et la solitude font partis intégrante de ce récit où se succèdent les anecdotes sur les joies et les peines des résidents de cette ferme, mais aussi les descriptions sur les rigueurs de l'hivers, les coyotes et castors qui pullulent, l'élevage avec de véritables cow boys. Prairie est un livre culte aux Etats-Unis, littéralement encensé par la critique et des écrivains comme Jim Harrison par exemple. Il est moins connu en France où, il faut bien le dire, la vie dans ces Rocheuses est à des années lumières de ce que l'on peut connaitre ici. Néanmoins, même si certaines descriptions m'ont paru longues voire inutiles (comme la manière de construire des cabanes en rondins), Prairie n'en demeure pas moins une lecture agréable et qui m'aura presque réconciliée avec ce genre particulier qu'est le Nature Writing. Ce qui est déjà beaucoup.

Ma note : 3,5/5
(Albin Michel, 290 pages)

dimanche 26 juin 2011

La dame de Jérusalem

1947. La guerre est finie depuis deux ans et pourtant l'Europe a du mal à se relever de cette dure épreuve. Pour Boro, la chute du nazisme aurait pu être synonyme pour lui de tranquillité retrouvée et de paix enfin bien méritée. Mais lorsqu'une mystérieuse jeune fille en chaussettes le convoque à Jérusalem, le reporter comprend très vite qu'une nouvelle guerre se prépare qui n'a rien à envier aux précédentes.

Depuis 1987, Dan Franck et Jean Vautrin nous baladent dans les méandres de l'Histoire dans les pas de ce reporter photographe intrépide qu'est Boro. La fin de la seconde guerre mondiale aurait pu signifier la fin des aventures de Boro car depuis le premier tome de la série, La dame de Berlin, les nazis avaient été l'ennemi numéro 1 de notre héros. La dame de Jérusalem est donc un tournant, un nouveau départ dans les péripéties de Boro.

Et quel départ tonitruant! Après nous avoir relaté la prise du pouvoir des Nazis en Allemagne, l'arrivée du Front populaire en France, la guerre d'Espagne et les horreurs de la seconde guerre mondiale, Franck & Vautrin s'attaquent désormais au conflit israélo-palestinien qui débute en 1948 lors de la création de l'état d’Israël. Juif hongrois, Boro ne peut que se sentir impliqué dans ce conflit qui va s'avérer plus complexe qu'au premier abord. De Paris à Jérusalem, en passant par Prague et New York, Boro fera de nouvelles rencontres qui bouleversera sa vie. C'est ainsi que nous suivons ces cohortes de réfugiés juifs qui, libérés des camps nazis, se voient rejetés par tous les pays européens, seuls, sans famille et démunis de tout. Leur seul espoir consiste alors à embarquer pour la Palestine, véritable eldorado alors aux mains des Anglais qui seront très rapidement dépassés par la tournure des évènements. Avec Boro, nous embarquons sur ces boat people qui traversent la Méditerranée avec péril, assistons impuissants aux attentats et autres embusquades meurtrières qui secouent cette terre du Moyen Orient, voyons les responsables israéliens tout faire pour créer un Etat israélien fort et puissant. Mais d'autres évènements tout aussi tragiques se déroulent en toile de fond comme le coup de Prague en 1948 ou le procès de Nuremberg où sont jugés les hauts dignitaires nazis.

A plus de trente ans, Boro a grandi et muri. Et même si sa fougue est toujours là, de nouvelles épreuves l'attendent auxquelles il devra faire face avec courage et détermination. Toujours aussi passionnantes, toujours autant fascinantes, les aventures de Boro prennent ici un nouveau visage qui ne peuvent que ravir le lecteur. Vivement la suite!

Ma note : 4/5
(Fayard, 388 pages)

dimanche 12 juin 2011

Samarcande - Amin Maalouf

Plus qu'une histoire, plus qu'un roman historique, Samarcande est une invitation au voyage, dans le Perse merveilleuse et onirique d'Omar Khayyam, poète et astronome de génie du milieu du XIème siècle. Le fil directeur du récit est le livre qu'écrivit Omar durant toute sa vie et où il y inscrivit ses célèbres Robbayat, ses quatrains sur la vie, le vin et les femmes. Perdu lors des invasions mongoles, ce recueil est retrouvé à la fin du XIXème siècle par Benjamin, un Américain parti alors dans une Orient en proie aux convoitises occidentales. Que reste t-il donc de la Perse d'Omar?

En suivant les traces de ce manuscrit, Amin Maalouf nous entraine donc dans cette civilisation subjugante qu'est la Perse, du XIème siècle (temps de sa magnificence) au début du XXème siècle, période pendant laquelle certains se sont élevés face à la domination étrangère et ont tenté de moderniser le royaume du Shah. Joyau du monde musulman voire du monde tout court au XIème siècle, la Perse d'alors est la civilisation la plus en avance sur son temps et cela, dans tous les domaines. Omar Khayyam en est une de ses figures de proue et dans cet empire qui s'étend de Samarcande à Bagdad, nous le suivons dans son périple où les guerres, les luttes pour le pouvoir sont légion. Mais c'est aussi une époque où de nombreuses découvertes et inventions font la gloire et la renommée persane.

Véritable cours d'histoire, Samarcande est un récit passionnant où le lecteur ne peut être que subjugué par la narration évocatrice d'Amin Maalouf, jamais ennuyeuse ou surfaite. Au coté d'Omar Khayyam, mais aussi d'Hassan Ibn Al-Sabbah, le fondateur de l'ordre Ismaélien des Assassins, de Nissan el-Molk, grand vizir du sultan Malik Shah mais aussi de Benjamin ou encore de Chirine, belle princesse musulmane, le lecteur part à la découverte d'un monde merveilleux mais aussi d'un art de vivre et d'une mentalité subtile et mélodieuse. Un livre magnifique où poésie, aventure et véracité historique se mélangent à merveille.

Ma note : 5/5
(Le livre de Poche, 376 pages)


jeudi 2 juin 2011

Le chemin des âmes - Joseph Boyden

En 1914, Xavier et Elijah, deux jeunes indiens Cree s'engagent dans l'armée canadienne afin de participer à la grande guerre qui se déroule loin de chez eux, au delà des mers, sur ce continent qu'on appelle Europe et dont ils ne savent rien. Rêvant de gloire et de bravoure, certains que la guerre ne durera pas, ils quittent alors leur existence primitive et calme de la foret et débarquent brutalement dans l'horreur des bombardements continuels et meurtriers, des tranchées boueuses et froides, du meurtre accepté et encouragé qu'on appelle bravoure. Rapidement, les talents des deux jeunes gens à s'embusquer et leurs précisions au tir les entrainent à devenir de redoutables tireurs d'élite et à passer toutes leurs journées embusquer sur ce terrain sans nom qu'est le no man's land. Mais sort-on indemne de ce bourbier qui ne veut pas dire son nom?

Des récits sur la première guerre mondiale, il y en a eu beaucoup dans la littérature et cela, de tous les points de vue, aussi bien allemand que français, anglais, américain. Et pourtant, en lisant Le chemin des âmes, le lecteur a l'impression de découvrir pour la première toute l'horreur et l'absurdité de ce conflit qui dura près de quatre ans dans les régions du nord de la France et de la Belgique. Rarement les descriptions des combats ou plutôt de ces tueries n'aura été aussi précises. Mieux, on ressent une empathie réelle avec les personnages, aussi bien principaux que secondaires, et avec eux, le froid, la boue, la peur, la souffrance sont ressentis de manière poignante et inextinguible.

Les destins de Xavier et Elijah ne peuvent que toucher et chambouler l'être que nous sommes. Tous deux, indiens Cree, n'étaient pas préparés à cela et chacun réagira de façon différente. Aveuglé par la recherche de la gloire et du pouvoir, Elijah considèrera rapidement cette guerre non plus comme un combat d'une troupe contre une autre mais plutôt comme une chasse réelle avec un gibier à pister et chasser. Témoin impuissant face à cette rage qui le consume, Xavier, lui, se raccrochera aux souvenirs de sa terre natale mais verra lui aussi son destin profondément bouleversé par les horreurs qu'il côtoie chaque jour.

Comme pour atténuer les scènes difficiles, l'auteur intercale les récits de souvenirs que Niska, la tante de Xavier, se remémore de son propre passé. Mais là aussi, c'est d'une autre souffrance dont il est question, celle de tout un peuple forcé de se plier au bon vouloir des hommes blancs venus les dépouiller de leurs biens, de leur terre, de leur histoire. Revenu meurtri de la guerre, seul, Xavier, alors entre la vie et la mort, retourne sur ses terres d'origine en canoë avec sa tante. De ce long voyage à travers les terres mais aussi les souvenirs de son enfance, Xavier fera alors le point sur son expérience de souffrance mais aussi de regrets. Que s'est il réellement passé sur le champ de bataille? Pourquoi et comment Elijah est-il mort?

Un récit dur, violent mais aussi et surtout d'un réalisme impressionnant. Rarement les descriptions de scènes de bataille auront été décrites avec une telle précision qui fait que l'on a l'impression nous aussi d'être au milieu de ces hommes qui se battent sans savoir réellement pourquoi contre des hommes qui ne leur ont rien fait. Réflexion sur l'humanité, sur les pulsions qui la composent, Le chemin des âmes est un premier roman brillant de réalisme où rien ne sera épargné au lecteur sur les horreurs et l'enfer de la guerre. Mais c'est aussi une ode poignante sur la nature et sur la rédemption des âmes. Un roman grandiose, inoubliable où l'on ne ressort absolument pas indemne. Une réussite indéniable.

Ma note : 5/5
(Albin Michel, 390 pages)